Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 juin 2011 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 805 du 28 juin 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société HEATHERBRAE LTD, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des 2° et 3° de l'article 990 E du code général des impôts, dans leur rédaction issue du paragraphe II de l'article 29 de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 juillet 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 20 juillet et 4 août 2011 ;
Vu les nouvelles observations produites pour la société requérante par la SELARL Ribes, avocat au barreau de Toulouse, enregistrées le 1er août 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Arnaud Larralde de Fourcauld pour la société requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 6 septembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes des 2° et 3° de l'article 990 E du code général des impôts, la taxe prévue à l'article 990 D n'est pas applicable : « 2° Aux personnes morales qui, ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux ;
« 3° Aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France et aux autres personnes morales qui, en vertu d'un traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde, lorsqu'elles communiquent chaque année, ou prennent et respectent l'engagement de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, la situation et la consistance des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale. L'engagement est pris à la date de l'acquisition par la personne morale du bien ou droit immobilier ou de la participation visés à l'article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 1993, au plus tard le 15 mai 1993 » ;
2. Considérant que la société requérante fait valoir que ces dispositions ont pour effet de réserver l'exemption de la taxe forfaitaire de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales à celles dont le siège est situé en France ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France, soit une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, soit un traité leur permettant de bénéficier du traitement fiscal des entités françaises équivalentes, lorsqu'elles communiquent à l'administration fiscale, ou s'engagent à lui communiquer sur sa demande, des renseignements relatifs au patrimoine immobilier détenu et aux personnes détentrices de parts sociales ; que ces dispositions méconnaîtraient ainsi le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'elles méconnaîtraient également le principe de présomption d'innocence protégé par l'article 9 de la même Déclaration ;
3. Considérant, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel a jugé dans les motifs de sa décision du 29 décembre 1989 susvisée que le 2° de l'article 990 E du code général des impôts est conforme à la Constitution ; qu'aucun changement des circonstances depuis cette décision ne justifie le réexamen de cette disposition ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
5. Considérant qu'en instituant la taxe forfaitaire de 3 % prévue aux articles 990 D et 990 E, le législateur a entendu dissuader les contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant, dans des États n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, des sociétés qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France ; qu'ainsi, il a voulu assurer la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ; que, pour ce faire, il a notamment prévu, dans le 3° de l'article 990 E, d'exempter de la taxe les entreprises qui communiquent annuellement à l'administration fiscale ou prennent et respectent l'engagement de le faire sur sa demande des informations sur la situation et la consistance des immeubles possédés en France, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale ; qu'ainsi, au regard des possibilités de contrôle de l'administration, ces entreprises se trouvent dans une situation différente de celles qui, n'étant pas soumises aux mêmes règles de transmission d'informations, ne présentent pas les mêmes garanties ; que le législateur a donc institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; qu'en conséquence, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 par le 3° de l'article 990 E du code général des impôts doit être écarté ; que cette disposition n'instituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration de 1789 est inopérant ;
6. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Les 2° et 3° de l'article 990 E du code général des impôts, dans leur rédaction issue du paragraphe II de l'article 29 de la loi n° 92-1376 de finances pour 1993, sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 septembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 16 septembre 2011.